Structures narratives interactionnelles
Il existe plusieurs types de structures narratives, parfois très complexes : l’on peut raconter une histoire dans l’ordre des évènements, ou bien en l’inversant (en remontant le temps), ou bien dans le désordre, ou encore en en omettant certains (ellipse). On peut aussi entremêler les histoires, plusieurs fils qui tissent un réseau, qui forment une histoire complexe.
Ce ne sera pas le sujet de cet article.
Nous traiterons du rôle réservé au public lorsqu’il est acteur même de l’histoire. Ce qui est rare dans un film, un roman, mais banal dans un jeu-vidéo, qui est avant tout affaire d’
interactivité.
Pour cela, nous mettrons en place une typologie de ces
structures narratives interactionnelles : lesquelles nous décrirons de la plus simple à la plus complexe. Nous recourrons parfois à des exemples tirés de RPGs, car après par tradition ce sont eux qui bénéficient des histoires les plus développées, mais nous ne négligerons pas des exemples tirés de jeux de plates-formes, dont la simplicité permet de mieux appréhender nos différentes structures réduites à leur minimum.
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Structure linéaire : L’histoire se présente comme une ligne, sur laquelle des évènements inévitables se produisent dans un ordre inévitable.
Ex. :
Final Fantasy I,
Castelvania I.
Elle peut connaître quelques subtilités : ainsi, ce peut être plusieurs histoires séparées, suivies linéairement dans ordre déterminé : l’interactivité y est tout aussi limitée, mais la narration plus complexe.
Ex. :
Dragon Quest IV : le joueur joue d’abord, brièvement, le rôle du héros principal, avant de passer à un soldat, puis à une princesse, puis à un marchand, puis à deux sœurs, avant que dans un dernier chapitre on se recentre sur le héros, qui rencontre ensuite dans son périple les personnages précédemment incarnés.
A noter que dans les jeux de cette sorte, il est parfois proposé des choix qui en vérité n’en sont pas : tant que l’on ne donne pas la bonne réponse, le scénario n’avance pas.
Cela a deux utilités : la première, et principale, est que cela permet d’indiquer au joueur un point de non-retour : tant qu’il ne donne pas la bonne réponse, il peut accomplir différentes actions, qui seront indisponibles (définitivement, ou pendant un long moment) après ce choix : cela permet donc de ne pas prendre par surprise le joueur, et ainsi qu’il ne ressente pas la frustration d’être passé à côté de quelque chose en dépit de sa volonté. L’autre utilité, qui en est à peine, est de vérifier l’assentiment du joueur à l’aventure : il accepte en validant le bon choix de se soumettre au raconteur d’histoires, qui connaît le déroulement le plus intéressant du récit.
Structure semi-linéaire : Celle que l’on retrouve dans les
Megaman et
Megaman X, apparemment identique à celle de
Dragon Quest IV : une courte introduction, puis le joueur est amené à visiter plusieurs endroits. Après avoir triomphé des ennemis qui s’y trouvent, la séquence finale, et conclusive, devient accessible. Structure apparemment identique à celle de
Dragon Quest IV, si ce n’est que le joueur a un semblant de liberté : celle de jouer aux différentes séquences (sauf introductive et conclusive) dans l’ordre qu’il veut. Un RPG qui utilise cette structure :
Rudra no Hinou.
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Structure à embranchements :1) Parcours multiples : Une première consiste à proposer au joueur des parcours alternatifs. Un exemple pour se faire comprendre : dans
Castlevania III, le joueur peut à plusieurs reprises décider de son itinéraire : pour arrive à C, prendra-t-il le chemin A ou B ? Ce procédé est utile dans un jeu qui mise sur sa rejouabilité : cela permet d’introduire une variété bienvenue, sans pour autant remettre en question la bonne marche du récit : qu’importe le chemin, l’important est que le joueur arrive à destination.
[1]2) Fins alternatives : Le moyen le plus simple pour proposer des fins multiples est de placer, durant la séquence de fin, le joueur devant un choix. L’intérêt est qu’ainsi, il n’y a pas besoin d’imaginer des parcours différents, tout en offrant malgré tout un choix majeur.
Grâce à cette structure, il est possible d’offrir au joueur un grand nombre de fins. Ainsi, pour un même déroulement,
Chrono Trigger propose pas moins de 13 fins ! Ce nombre peut paraître délirant : autant de possibilités durant la séquence de fin du jeu ?! Présentent-elles vraiment toutes de l’intérêt ? La vérité, c’est que
Chrono Trigger ne propose pas toutes ces fins en même temps. Il n’y en a tout d’abord qu’une d’accessible, à laquelle on aboutit après avoir suivi l’histoire jusqu’au bout. Ensuite, il est possible de recommencer une partie (en conservant objets, niveaux des personnages, ce qui permet d’avancer plus vite) : alors, tout au long du jeu, le joueur, qui suit le fil principal de la narration, peut à plusieurs reprises s’en écarter : ce qui l’amène bien vite à une nouvelle fin, qui dévoile un nouvel aspect de l’histoire, contribuant de cette manière à l’enrichir plus encore. Treize choix, proposés à treize moments de l’histoire principale.
Une autre manière consiste à faire dépendre la fin non d’un choix à accomplir dans le moment même, mais d’une action annexe, optionnelle. Une action que le joueur tout au long de l’aventure (ou à partir d’un certain point, n’importe), et jusqu’à la fin peut accomplir sans y être obligé. Ce procédé est utilisé dans les
Suikoden, dont la fin diffère selon le nombre de personnages recrutés dans l’armée du héros, certains l’étant automatiquement au cours de l’histoire, d’autres l’étant si le joueur fait la démarche pour.
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Une dernière remarque pour finir :
Je remarquais en rejouant, sur émulateur, à
Castlevania III pour le besoin de mon propos, que je ne pouvais m’empêcher de garder une sauvegarde aux embranchements : afin d’y jouer lorsque j’aurais terminé le jeu, sans avoir à recommencer les niveaux identiques dans toutes les parties. Comment, sans recourir à des procédés aussi artificiels (étant extérieurs à la fiction du jeu, non justifiés par elle), permettre au joueur d’accéder à ces alternatives sans pour autant lui imposer de rejouer à des séquences auxquelles il ne trouverait plus d’intérêt ? Ou encore comment leur redonner de l’intérêt ? J’ai bien quelques éléments de réponse, mais je laisse la question ouverte : l’important étant de la garder à l’esprit.
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Tous les modèles proposés sont volontairement simplifiés pour en faciliter la compréhension : ils peuvent être complexifiés, combinés (des parcours différents qui amènent à des fins différentes, par ex.), d’autres pourraient être inventés, tout cela à loisir ! Le but de cet article était d’effleurer la richesse des possibilités qu’offre l’interactivité en termes de narration.
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Notes :[1] Il est un écueil avec cette structure que
Castlevania III évite, mais dans lequel tombent certains jeux, notamment les "Livres Dont Vous Êtes le Héros". Dans ces derniers, en effet, à plusieurs reprises le joueur est contraint de choisir sans pouvoir prévoir qu’elles seront les conséquences de sa décision, alors que dans certains cas il obtiendra des avantages, dans d’autres des désavantages, voire la mort. Le hasard défavorise ainsi le joueur, jusqu’à lui imposer de recommencer l’aventure depuis le début. C’est le célèbre principe du "Try and Die" : il faut tomber dans les pièges pour ensuite, les connaissant par cœur, pouvoir les éviter. La vérité, c’est que je n’ai jamais pu jouer à un de ces livres correctement : toujours je vérifie les conséquences de différents choix possibles avant de me décider. L’idée qu’il puisse y avoir de bons et de mauvais choix (surtout s’ils n’ont pas été voulu parle joueur), est génératrice de frustration : ce qui devrait être évité à tout prix : le jeu est un plaisir, non un déplaisir.
[2] A ce propos,
Suiloden Tierkreis souffre d’un grave défaut : un évènement imprévu surgit un moment, après lequel certains personnages ne peuvent plus être recrutés. Faute de n’avoir pas prévu l’imprévisible (car après tout, cet évènement était conçu pour surprendre), le joueur, vers la moitié du jeu, se voit priver de la possibilité de jouir de la meilleur fin. Pire encore, certains de ces personnages ne peuvent être découverts que si le joueur visite au bon moment le bon endroit. Le jeu intègre un système de saisons, le temps passant pendant que le personnage se déplace sur la carte du monde. Pour découvrir ces personnages, le joueur, qui d’ailleurs n’en est pas prévenu, devrait donc visiter chaque lieu, après chaque avancée dans l’histoire, à quatre moments correspondant aux quatre saisons. On ne peut imaginer plus pénible. Faire dépendre du hasard tel événement, puis le rendre impossible après un certain temps, pour proposer la meilleure fin du jeu uniquement s’il s’est réalisé : voilà une grave faute de conception.